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L'énergie nucléaire en Estonie : un tournant au séminaire franco-finlandais

Il y a quelques jours, le mercredi 21 février 2024, CAdFE a été invité à participer à un séminaire sur l'énergie nucléaire en Estonie, orchestré par l'Ambassade de France. L'objectif du séminaire était d'alimenter le débat en partageant les expériences françaises et finlandaises. Voici quelques extraits des échanges intéressants qui ont eu lieu entre experts au cours de la matinée.

L'Ambassadeur de France en Estonie, S.E. Emmanuel Mignot, a ouvert la réunion en soulignant que le but du séminaire était de nourrir la réflexion à travers des retours d'expérience. L’Estonie a en effet lancé un débat public sur l’énergie nucléaire, et une décision sera prise par un vote au parlement d’ici la fin de l’année 2024.

Le contexte international de l'énergie nucléaire, avec 56 réacteurs en construction dans le monde, a été présenté, mettant en évidence sa part significative en Europe et en France. L’énergie nucléaire représente 25 % du mix énergétique de l’UE, en réponse aux défis de la neutralité carbone fixés par l’UE pour 2050. La France s’est déclarée ouverte à la coopération avec l’Estonie, tout en respectant la souveraineté du pays balte.

Perspectives estoniennes et présentation du rapport du groupe de travail sur l’énergie nucléaire

Les experts estoniens Anti Tooming et Reelika Runnel, membres du groupe de travail sur l’énergie nucléaire, ont participé aux discussions du matin. Ce groupe interministériel, formé en 2021, vise à fournir les meilleures connaissances sur le sujet pour permettre au pays de décider du rôle potentiel de l’énergie nucléaire dans l’atteinte des objectifs climatiques et la sécurité énergétique de l’Estonie. La décision finale de construire ou non une centrale nucléaire sera un choix de société déterminé par le vote des parlementaires en 2024.

Les perspectives de l’énergie nucléaire en Estonie bénéficient d’un fort soutien public, avec plus de 60 % de la population se déclarant favorable au nucléaire. Les sites proposés pourraient également stimuler le développement économique régional. Cependant, la nécessité d’experts qualifiés a été soulignée, impliquant une dépendance initiale aux experts étrangers.

La coopération internationale a été un élément clé de ce projet dès le début, suivant les recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), soulignant l’importance des normes internationales en matière de sûreté nucléaire. L’AIEA a également émis un avis positif sur la construction d’une centrale nucléaire en Estonie. Le budget de recherche alloué aux avancées scientifiques et technologiques dans le domaine nucléaire s’élève à 577 000 euros, dont plus d’un tiers, soit 209 000 euros, provient des fonds européens dédiés à la recherche et au développement.

Combien coûte un tel projet ?

Selon le rapport, les dépenses de l’État estonien pour le développement des infrastructures seront rapidement compensées. Cette compensation interviendra dès la phase de construction de la centrale et proviendra des revenus de l'État générés par les taxes sur le travail et par l’impact économique régional lié aux activités de construction.

Une fois la centrale construite – environ 11 ans après le lancement du programme nucléaire – les recettes fiscales perçues par l’État dépasseraient les dépenses d’au moins 5,5 millions d’euros dans le pire des cas, et jusqu’à 19 millions d’euros dans le scénario le plus probable.

De plus, le coût total pour le budget de l’État du cadre réglementaire et des programmes éducatifs pour la formation d’experts serait de 73 millions d’euros, avec une dotation supplémentaire estimée à 54 millions d’euros. Cette dotation, encore difficile à estimer précisément, servira à financer les mesures de secours et le renforcement des capacités techniques.

Lors de la session publique de questions-réponses, les intervenants ont abordé plusieurs points cruciaux. En cas d’échec du projet, l’importance d’explorer d’autres sources d’énergie, notamment l’hydrogène, a été soulignée. Le représentant d’EDF a assuré que l’entreprise française était prête à accompagner le gouvernement estonien dans cette démarche. Il a été rappelé que le rôle du secteur privé dans le financement du projet ne devait pas être sous-estimé, à l’image de son succès dans d’autres domaines, comme les programmes spatiaux. Enfin, l’Ambassadrice de Suède en Estonie, S.E. Ingrid Tersman, a suggéré la création d’un complexe régional de formation pour les experts nucléaires avec nos voisins nordiques, offrant une nouvelle perspective de coopération régionale.

Sécurité énergétique, souveraineté et sobriété : les piliers d’une stratégie française durable

Dans sa présentation, Cécile Maisonneuve, experte associée en énergie à l'Institut Montaigne, a mis en lumière la dépendance actuelle de l’Europe au gaz russe, soulignant un manque d’attention accordé à la sécurité énergétique ces dernières décennies. Elle propose une approche combinée hydraulique et nucléaire comme clé de la décarbonation, insistant sur la nécessité de prioriser la production d’électricité verte pour accompagner le développement des nouvelles industries écologiques.

La dépendance à la Chine dans les énergies renouvelables a également été pointée du doigt, ainsi que la décision de confier ce secteur au privé. Maisonneuve a insisté sur l’importance pour l’Europe de se détacher de la Russie en renouvelant le nucléaire, soulignant les enjeux géopolitiques et la sécurité du système électrique.

Géraldine Raud, représentante du Ministère français de la Transition écologique, a présenté les ambitions françaises en matière de neutralité carbone. Trois scénarios ont été envisagés dans une étude réalisée par RTE (Réseau de Transport d'Électricité, filiale d’EDF) sur l’évolution de la consommation et de la production d’électricité d’ici 2050. Mais la conclusion principale est sans appel : sans nucléaire, la neutralité carbone sera impossible. Cette approche s’appuie sur deux grands plans économiques, "France Relance" et "France 2030".

Le débat a également mis en évidence l’absence de coordination européenne sur l’énergie nucléaire. L’Allemagne a fait le choix de sortir du nucléaire, tandis que la Finlande a combiné augmentation de la production et réduction de la consommation énergétique. D’autre part, les initiatives françaises en matière d’efficacité énergétique ont retenu l’attention, avec des exemples comme l’isolation à 1 euro et la réduction de la température des bâtiments publics à 19°C, ce qui a permis une réduction de 10 % de la consommation d’électricité.

Stratégies de gestion des déchets nucléaires : expériences finlandaise et française

Pasi Tuohimaa, responsable des relations publiques chez Posiva Solutions, a mis en avant l’expérience finlandaise dans la gestion des déchets nucléaires. L’entreprise privée gère un site d’enfouissement des déchets nucléaires sur l’île d’Olkiluoto, avec une capacité de 6 500 tonnes d’uranium. Son taux d’acceptation publique de 80 % est le fruit d’une politique de transparence et d’une communication active sur les réseaux sociaux.

En France, Nicolas Solente, de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), a présenté les solutions mises en place, notamment sur les sites de Morvilliers et La Chaise dans l’Aube, spécialisés dans le traitement des déchets faiblement radioactifs.

Perception publique du nucléaire et impact financier sur les collectivités locales

Michel Berthelemy, conseiller en politique nucléaire stratégique à l’OCDE, a abordé la perception du public vis-à-vis du nucléaire et le retour financier pour les territoires. Il a souligné l’importance du COOP28, où la question du nucléaire a été évoquée pour la première fois dans une coopération bilatérale.

En conclusion, l’Ambassadeur de France en Estonie, S.E. Emmanuel Mignot, a remercié les participants et a souligné l'évolution vers une approche plus rationnelle de l’énergie nucléaire. Il a réaffirmé la disponibilité de la France à accompagner l'Estonie dans sa décision, dans un esprit de coopération et de partage d'expertise.

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