Une situation macro-économique qui s’est relativement bien maintenue en 2022
Contrairement au reste de l’Union Européenne, la crise inflationniste naît en Estonie dès la fin 2021, avec la réforme du pilier II des retraites, rendant accessible plus d’un milliard d’euros de liquidités sur le marché. A cela s’ajoute la forte épargne disponible en raison de la crise du Covid, ce qui soutient davantage la demande et crée de premières tensions inflationnistes. La guerre en Ukraine qui débute en février 2022 accentue ces tensions et rend la situation incontrôlable : entre novembre 2021 et novembre 2022, l’inflation était de près de 22,5% (puis 19,4% de janvier 2022 à janvier 2023).
Malgré cette forte inflation, la demande est restée stable pendant les trois premiers trimestres 2022, notamment parce que les ménages ont fait le choix de puiser dans leur épargne disponible. Cela a certes contribué à accélérer l’inflation, mais a aussi et surtout permis aux entreprises de bien traverser la crise : au cours de l’année 2022, le taux de chômage a diminué d’un point, passant de 6,2% à 5,2%. A titre de comparaison, la moyenne européenne est de 6% fin 2022 et la France de 7,1%. Outre le maintien de la demande, ce dynamisme sur le marché de l’emploi s’explique par la reprise post-Covid. Des pénuries de main d’œuvre ont même pu voir le jour pour certains secteurs et les salaires ont augmenté de 8,7% sur l’année 2022 avec un salaire moyen s’établissant à près de 1 682 EUR.
Lors de l’année 2022, l’économie estonienne a cependant connu une légère récession, à hauteur de de -0,5% selon la banque centrale d’Estonie. A nuancer puisque dans le même temps, le ministère des finances annonce une croissance de 1%. Quoi qu’il en soit, ces chiffres contrastent fortement avec le fort dynamisme de 2021 et ses 8,5% de croissance. Les finances publiques ont étés relativement bonnes sur l’année : les dépenses de soutien à la population ne sont arrivées que tardivement alors que les recettes ont particulièrement augmenté dès le début de l’année notamment grâce à la demande soutenue malgré l’inflation. Par conséquent, le déficit public est inférieur à 2% pour l’année 2022.
Des perspectives qui s’assombrissent pour 2023
La forte demande des trois premiers trimestres 2022 s’est ralentie depuis le quatrième trimestre en raison de l’amenuisement de l’épargne disponible et de l’inflation plus forte que la hausse des salaires. Cette baisse de la demande intérieure conjuguée à la hausse des coûts de production en raison de l’inflation énergétique menace fortement les entreprises. Il faut également prendre en compte les conséquences directes des sanctions européennes à l’encontre de la Russie : la Banque Centrale d’Estonie estime à 11% le nombre de salariés estoniens dont l’entreprise dépend majoritairement de produits d’origine Russe. Face à ces difficultés, les entreprises concernées risquent de licencier plus de 1 000 salariés. A cela s’ajoutent les réfugiés Ukrainiens : début décembre 2022, près de 6 300 d’entre eux étaient inscrits au chômage, soit 12,6% des chômeurs inscrits. Ainsi, en 2023, le chômage remontera en flèche : la Banque Centrale d’Estonie anticipe un taux de chômage de près de 8,5% en 2023 et de 8.7% en 2024.
Dans ce contexte de crise, la Banque Centrale d’Estonie anticipe une croissance de 0.4% en 2023 (contre 0.5% pour le Ministère des Finances). De même, l’inflation diminuera mais restera forte : la Banque Centrale d’Estonie prévoit une hausse des prix de 9.3% en 2023 (contre 6.7 pour le ministère des finances). Bien que les mesures gouvernementales entrées en vigueur à l’automne 2022 aient pu quelque peu contenir l’inflation énergétique, la chute des températures risque de la faire repartir à la hausse. Cette incertitude ainsi que la chute de la demande aussi bien intérieure qu’extérieure et la hausse des taux d’intérêts décourage les entreprises à investir.
La Banque Centrale d’Estonie estime que l’effet de la politique monétaire de rigueur est contrecarré par une politique budgétaire qu’elle juge de relance car trop déficitaire. Le déficit budgétaire augmentera en effet de façon exponentielle en 2023 : d’une part, les recettes diminueront en raison de la baisse de la consommation et de la hausse des minimums sociaux non imposable, et d’autre part, les dépenses augmenteront fortement, notamment en raison de la hausse des allocations familiales et de la hausse des salaires dans le secteur public pour s’aligner sur le secteur privé. Par conséquent, sans changement de politique majeur au cours de l’année, le déficit budgétaire sera de 4,6% du PIB en 2023.
Une sortie de crise à long terme au détriment de l’équilibre budgétaire
Le contexte géopolitique de la région rend les prédictions de long terme incertaines. La Banque Centrale d’Estonie anticipe cependant une forte reprise en 2024 avec 3,1% de croissance (contre 3,0 pour le ministère des finances) et une inflation redescendue à 2,8% (1% selon le ministère des finances). Cette reprise permettrait à long terme de faire diminuer le chômage, qui resterait cependant à 8,7% en 2024 avant de ne redescendre à 7,6% à partir de 2025.
Le budget 2023 voté fin Novembre par le Parlement estonien a privilégié l’urgence énergétique et sécuritaire à l’équilibre budgétaire en introduisant de nombreuses nouvelles dépenses (i.e plus de 3% du PIB alloué au secteur de la défense). Sans évolutions géopolitiques ou économiques majeures, le déficit budgétaire devrait s’élever à 4,6% du PIB en 2023 puis redescendre de 0,7% par an pour atteindre 3,8% en 2024, 3,1% en 2025 et repasser sous la barre des 3% en 2026 avec un déficit à 2,6% du PIB. Selon la Banque Centrale d’Estonie, les dépenses publiques étant incompressibles en raison de leur importance stratégique, l’Etat ne dispose d’une marge de manœuvre que du côté des recettes. La Banque Centrale conclut en effet son rapport en rappelant notamment que la pression fiscale est l’une des plus faible de l’Union Européenne (33,3% du PIB) alors que la moyenne de l’UE est d’environ 40%.