Le contexte international du nucléaire, avec 56 réacteurs en construction dans le monde, a été exposé, mettant en avant la part significative en Europe et en France. Le nucléaire représente 25% du mix énergétique de l’UE, une réponse face aux défis du zéro carbone fixé par l’UE à l’horizon 2050. La France s’est montrée ouverte à la coopération avec l’Estonie, tout en soulignant son respect de la souveraineté du pays balte.
Perspectives Estoniennes et Présentation du Rapport du Groupe de Travail sur l’Énergie Nucléaire
Les experts estoniens, Anti Tooming et Reelika Runnel qui font partie du groupe de travail sur l’énergie nucléaire ont participé aux échanges de la matinée. Ce groupe interministériel formé en 2021 a pour objectif de fournir les meilleures connaissances sur le sujet afin de permettre au pays de décider du rôle potentiel de l’énergie nucléaire dans la réalisation des objectifs climatiques et la garantie de la sécurité énergétique en Estonie. La décision finale de construire ou non une centrale nucléaire sera un choix de société déterminé par le vote des parlementaires en 2024.
Les perspectives du nucléaire en Estonie rencontrent une forte adhésion du public, avec plus de 60% de la population se déclarant en faveur de l’énergie nucléaire. Les sites envisagés pourraient également stimuler le développement économique régional. Cependant, le besoin en experts qualifiés a été souligné, impliquant une dépendance initiale sur des experts étrangers.
La coopération internationale est depuis le début très importante dans ce projet, avec un suivi des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), soulignant l’importance des normes internationales en matière de sécurité nucléaire. L’AIEA a par ailleurs donné un avis favorable quant à la construction d’une centrale nucléaire en Estonie. Le budget de recherche destiné à garantir des avancées scientifiques et technologiques dans le domaine de l’énergie nucléaire représente un montant de 577 000 euros, dont plus d’un tiers, soit 209 000 euros sont issus de fonds européens dédiés à la recherche et au développement.
Quel est le coût d’un tel projet ?
Selon le rapport, les dépenses de l’État estonien pour la mise en place des infrastructures seront compensées assez rapidement. Ces compensations arriveront pendant la phase de construction de la centrale et proviendront des recettes que l’Etat tirera des impôts sur le travail et de l’impact sur l’économie régionale résultant des activités de construction.
Lorsque la centrale sera construite – environ 11 ans après le lancement du programme nucléaire – les recettes fiscales perçues par l’Etat seraient plus élevées que les dépenses d’au moins 5,5 millions d’euros dans le scénario le plus pessimiste, ou 19 millions dans le cas le plus probable.
Par ailleurs, le coût total pour le budget de l’État du cadre réglementaire et des programmes éducatifs pour la formation d’expert, s’élèverait à 73 millions d’euros avec une allocation supplémentaire estimée à 54 millions d’euros. Cette allocation reste difficile à estimer avec précision et permettra de couvrir les dispositifs de secours et de renforcement des capacités techniques.
Lors de la séance de questions du public, les intervenants ont abordé plusieurs points cruciaux. En cas d’échec, l’importance d’explorer d’autres sources d’énergie, notamment l’hydrogène, a été soulignée. Le représentant d’EDF a assuré que l’entreprise française serait prête à soutenir le gouvernement estonien dans sa démarche. Il a été souligné de ne pas sous-estimer le rôle du secteur privé dans le financement du projet, en s’appuyant sur son succès dans d’autres domaines, comme les programmes spatiaux. Enfin, l’ambassadrice de Suède en Estonie, S.E. Ingrid Tersman a suggéré la création d’un complexe régional de formation pour les experts nucléaires avec les voisins nordiques, offrant ainsi une perspective innovante à la coopération régionale.
Sécurité Énergétique, Souveraineté Énergétique et Sobriété Énergétique : Les Piliers d’une Stratégie française Durable
Dans sa présentation, Cécile Maisonneuve, experte associée en énergie à l’Institut Montaigne, a souligné l’actuelle dépendance européenne au gaz russe, soulignant une insuffisante focalisation sur la la sécurité énergétique au cours des dernières décennies, Cécile Maisonneuve propose une approche combinée à base d’’hydroélectricité et de nucléaire comme clé de la décarbonisation. Elle souligne la nécessité de prioriser la production d’électricité verte pour accompagner le développement de nouvelles industries vertes.
La dépendance à la Chine dans les énergies renouvelables a également été pointée du doigt, tout comme la décision de laisser ce secteur au privé. Maisonneuve a insisté sur l’importance pour l’ Europe de se détacher de la Russie en renouvelant l’énergie nucléaire, soulignant les enjeux géopolitiques et la sécurité du système électrique.
Géraldine Raud, représentante du Ministère français de la Transition Écologique, a rappelé les objectifs ambitieux de la France en matière de neutralité carbone. L’objectif de réduction de la consommation électrique a été mis en avant, appuyé par une enquête menée par RTE (Réseau de Transport d’Électricité, filiale d’EDF) sur l’évolution de la consommation et de la production d’électricité jusqu’en 2050. Trois scénarios différents sont envisagés, mais la conclusion a souligné que sans le nucléaire, la neutralité carbone ne sera pas atteignable. Cette démarche est soutenue par deux plans économiques majeurs, à savoir « France Relance » et « France 2030 ».
Dans la discussion, l’importance d’une approche régionale a été soulevée, notamment par l’enquête RTE qui prend en compte la dépendance entre les régions, en référence à l’Allemagne qui a décidé d’abandonner le nucléaire. Cependant, les intervenants ont fait remarquer le manque de synergie et de discussions au niveau européen sur le sujet, indiquant un besoin accru de coopération. La Finlande a partagé son expérience avec une augmentation de la production énergétique couplée à une réduction de la consommation, soulignant que la question de la réduction ne reçoit pas une attention suffisante. Par ailleurs, l’initiative française en matière d’efficacité énergétique dans les bâtiments et l’industrie a retenu l’attention du public avec des exemples tels que l’isolation à 1 euro, et l’abaissement à 19°C dans les bâtiments publiques qui c’est traduit par une réduction de 10% de la consommation d’électricité.
Stratégies de Gestion des Déchets Nucléaires : Expériences Finlandaise et Française en Transparence, Acceptation et Implications
Pasi Tuohimaa, chef des relations publiques de Posiva Solutions, a mis en lumière l’expérience finlandaise en matière de gestion des déchets nucléaires par cette entreprise privée. Avec une expérience qui s’étale sur 44 années, le processus, incluant la sélection du lieu, l’excavation et l’obtention de la licence d’utilisation à abouti à la construction d’un site de traitement des déchets nucléaires localisé sur l’île d’Olkiluoto en Finlande. La capacité de stockage est de 6500 tonnes d’uranium.
Le taux d’acceptation actuelle de l’opinion publique qui atteint 80% est attribuée à une politique de transparence, renforcée par des campagnes de communication et notamment une présence active sur les réseaux sociaux, notamment avec une campagne sur la taxonomie verte de l’UE, illustrée par des hashtags tels que
#rocktorock. Les employés, considérés comme des ambassadeurs, contribuent ainsi à l’image positive du site. Posiva Solutions présente une solution complète pour la gestion et le stockage des déchets nucléaires. Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique a salué la qualité du projet.
Nicolas Solente de l’Agence nationale française pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a présenté un exemple du traitement des déchets en France à travers les sites de Morvilliers et de La Chaise dans l’Aube spécialisés dans le traitement des déchets faiblement radioactifs.. Il a mis en avant la diversité des déchets nucléaires, provenant principalement des centrales nucléaires (60%), de la recherche (25%), et de la défense (9%), avec trois principaux producteurs : CEA, EDF, et Orano. Près de 1 760 000 m³ de déchets nucléaires ont été produits jusqu’à la fin de 2021. Les solutions pour le traitement des déchets de haute activité et les déchets à niveau intermédiaire de longue durée sont en cours d’élaboration, Concernant la gestion des déchets faiblement radioactifs, les deux sites de Morvilliers et de La Chaise sont déjà en exploitation et fonctionnent parfaitement. Solente souligne la gouvernance et les interactions entre les parties prenantes, mettant en avant l’implication de tous les acteurs dans ce processus, démontrant ainsi une stratégie bien définie.
Dans les discussions, il a été souligné que l’idée de centres communs de traitement des déchets nucléaire a du sens, car les coûts principaux sont des coûts fixes. Le succès de ces partenariats est avant tout une question politique, avec des interrogations sur quels pays seraient prêts à accueillir de telles structures. L’expérience française et finlandaise a révélé que la proximité de la population avec un site de traitement influe sur leur disposition à accepter un nouveau centre, on a donc une plus grande acceptation venant des personnes les mieux informées.
Perception publique de l’énergie nucléaire et retombées financières sur les territoires
Michel Berthelemy, conseiller stratégique en politique nucléaire au sein de l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE, a abordé la perception publique de l’énergie nucléaire et les retours financiers pour les territoires. Dans le cadre de son travail au sein de l’OCDE, il travaille principalement sur la recherche en matière de sûreté nucléaire, de technologies et de politiques. Il souligne l’importance de la COOP28, notant que la question de l’énergie nucléaire a été évoquée pour la première fois dans le cadre d’une coopération bilatérale entre les pays utilisant l’énergie nucléaire depuis le début de l’utilisation du nucléaire.
En conclusion, L’Ambassadeur de France en Estonie, S.E. Emmanuel Mignot a exprimé ses sincères remerciements à l’ensemble des participants pour leur engagement et leur contribution à la discussion. Il a souligné l’importance de la discussion informelle qui a émergé, mettant en lumière une tendance vers une approche plus rationnelle vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Cette évolution dans la perception dénote un changement significatif dans la manière dont les gens abordent et comprennent les questions liées au nucléaire. L’ambassadeur a rappelé également que la France se tient prête à soutenir l’Estonie dans la décision qu’elle prendra, soulignant l’engagement continu envers la coopération et le partage d’expertise entre les deux nations. Il a faitexprimé l’espoir que cette rationalité croissante continuera à guider les débats et les prises de décision dans le domaine de l’énergie nucléaire, favorisant ainsi une compréhension équilibrée et informée de cette source d’énergie cruciale pour l’avenir.